mercredi 14 août 2013

Nouvelle : Une super histoire !

Après la lecture de Watchmen, qui est vraiment un monument de la bande-dessinée, j'ai eu envie de vous faire partager une nouvelle écrite il y a une dizaine d'années, bien avant que je n'ai eu vent de l'existence de Watchmen. Malgré cela, j'ai trouvé certaines similitudes (même si je ne me compare en aucun cas à Alan Moore), et j'ai trouvé amusant de vous en faire profiter. J'inaugure donc, par la même occasion, une nouvelle catégorie de post : les nouvelles (au sens littéraire du terme). N'hésitez surtout pas à me faire remonter vos impressions et les fôtes d'orthogarphe encore présentes ! Bonne lecture !


Une super histoire

Peu de gens le savent, mais le premier superhéros que la Terre ait jamais connu était originaire de ce pays. Il se faisait appelé Monsieur Extraordinaire et sa véritable identité a été un secret jusqu’à sa mort récente, d’un cancer du pancréas, oublié de tous dans un foyer de SDF.
Peu de gens le savent, mais ce fût lui qui introduisit les éléments de base de la combinaison de super héros, à savoir le slip au-dessus du collant et la cape rouge qui permettait – selon les dires des enfants – de voler de plus vite qu’avec une cape bleue.

Mais peu de gens savent également, que ce fût lui qui abandonna ces deux signes distinctifs le premier. En ce qui concerne le slip, suite à la mort d’un jeune enfant empalé sur  une grille de square, dans laquelle la dite culotte s’était prise. Pour ce qui est de la cape, après avoir failli se rompre le cou en accrochant celle-ci dans une poignée de porte alors qu’il poursuivait des malfrats.
Ses suiveurs mirent un peu plus de temps à se rendre compte de tous ces inconvénients. Le prestige de l’uniforme étant plus important que tout. Malgré les risques de pendaison involontaires en sautant du deuxième étage d’un immeuble pour atterrir sur le dos d’un brigand ou sur un tas de poubelles. Malgré les tonnes de linge sale que cela entrainait, car même si vous êtes doté de super pouvoirs, ceux-ci ne peuvent rien contre la crasse et les mauvaises odeurs – à part peut-être ceux de Blanc de Blanc, mais cela est une autre histoire.

Après ces quelques lignes d’introduction et avant de rentrer dans le vif du sujet, je tiens à me présenter. Mon nom est Léopharus Marstingault. Et j’ai été – ou plutôt je suis encore, bien qu’à la retraite – moi aussi un super héros. Mon nom de scène était le Buvard – et cela n’a rien à voir avec un quelconque problème de boisson.

Un jour, il n’y avait pas de super héros, et le lendemain, il y en avait partout. Une génération spontanée d’êtres dotés de pouvoirs incroyables était née. Je me souviens qu’on ne pouvait plus toucher de pierre, d’arbre, se faire mordre ou piquer par le moindre insecte ou animal sans en récupérer les pouvoirs.  Les premiers touchés le furent à cause de leur travail ou de leurs études : Monsieur Extraordinaire, simple gars de la campagne débarqué en ville depuis peu, accepta un job mal payé dans une centrale nucléaire et fût exposé aux radiations. Le Rat Blanc fût mordu par un de ses animaux de laboratoire, et votre serviteur, simple gratte papier sans grade dans une bibliothèque de quartier, se coupa le doigt avec une feuille de papier buvard radioactive.

Je ne fis pas partie de la première vague de superhéros, mais plutôt de la seconde, d’où mes pouvoirs un peu en dessous de la moyenne. Il en va des super pouvoirs comme des places au stade, les plus intéressants partent en premier, et ensuite, il ne reste, hé bien que les restes.
Bien entendu, plusieurs superhéros se retrouvaient avec les mêmes pouvoirs, il leur fallait donc trouver un autre nom, original, mais assez facilement identifiable par le commun des mortels. Par exemple, pour ceux piqués par une araignée, on eut donc droit à : l’Araignée (le premier), suivit de la Mygale, de la Tarentule, puis, suite au décès de l’Araignée originelle dans un banal accident de la circulation (refus de priorité), la Nouvelle Araignée. Quand le catalogue des différents arachnéens fût utilisé en entier, les nouveaux rajoutèrent des couleurs ou des adjectifs. Inutile de vous dire que les voleurs n’étaient pas trop apeurés quand ils se retrouvaient en face de la Mygale Violette ou de l’Araignée Intrépide. Mais cela est une autre histoire, et vu mon nom, je suis assez mal placé pour juger.

Les premiers super héros, suivant l’exemple de Monsieur Extraordinaire, mirent leurs dons au service de la communauté pour faire le bien et stopper la montée grandissante de l’insécurité, liée à la crise économique. Ils ne demandaient pas grand-chose, juste un petit article de temps en temps dans le canard local, une photo d’eux serrant la paluche du maire et une médaille honorifique. C’était tout et c’était le bon temps. Je crois vraiment que nous avons aidé les gens à se sentir mieux.
Le problème, c’est qu’au fur et à mesure de la prolifération des super héros, il y a eu celle, symétrique, des super vilains. Bien entendu, si on était mauvais à la base, se faire piquer par une abeille ne vous transformait pas en pourfendeur du crime, au contraire. Vous voyiez tout de suite quels bénéfices tirer d’une telle situation, et vous vous faisiez appeler le Dard Maléfique ou une connerie dans le genre.

Cela c’est vraiment gâté quand les combats entre bons et mauvais prirent des proportions gigantesques.
Au début, le super héros castagnait un simple braqueur d’épicerie. Un uppercut, un doigt brisé et cela suffisait à l’arrêter. On déplorait tout au plus une cagette de tomates écrasées, et dans le pire des cas, une vitrine en miettes. Pas de quoi fouetter un chat. On faisait jouer l’assurance, le petit commerçant transformait sa boutique en musée du souvenir, les badauds accouraient et tout le monde était content.
Ensuite, quand le Docteur Explosion se frittait avec le Bulbe Atomique, on ne parlait plus d’une douzaine de fruits perdus. Il était question d’un quartier entier de la ville, de façades d’immeubles à ravaler, voire à reconstruire, de châteaux d’eau écroulés, de ponts détruits etc. etc.
Les simples gens subirent de plein fouet l’arrivée et la vie des super héros : les primes d’assurances explosaient, les impôts locaux itou. La grogne monta rapidement au sein de la population. Et tout ça pour quoi ? Pour que quelques gugusses en collants moulants se foutent sur la tronche et fassent plus de dégâts que s’ils s’étaient laissé vivre chacun dans leur coin.
Le Spectre du Soleil voulait dévaliser la Banque Centrale ? La belle affaire. Il pouvait tout au plus espérer en retirer 150 millions. Avec ceux-ci il aurait acheté une île du Pacifique (si possible sans lépreux) et aurait coulé une belle vie sans faire chier personne. Au lieu de cela, ce jour-là, Monsieur Extraordinaire allait justement retirer un peu d’argent de son compte épargne. Quand il vit ce qui se passait, il fila dans une cabine téléphonique du coin de la rue et engagea la bataille qui coûta un peu plus 350 millions à la municipalité et entraîna la destruction de la Banque Centrale, qui ne se releva jamais réellement de cet événement.

D’autres flairèrent le bon plan et mirent leurs supers pouvoirs au service de leur porte monnaie et lancèrent une société de BTP. Ce fut notamment le cas de l’Emplâtreur, de Doc Béton et de Super Maçon, qui proposaient un package : réparer les dégâts après avoir coffré le supervilain. A partir de là, l’esprit héroïque et chevaleresque des débuts fit place au règne de l’argent roi. Tout était bon pour « monétariser » son nom. Des poupées, des émissions radio et télé, des galas, et même pour les gagne-petit des animations en maison de retraite ou dans des supermarchés (concept lancé par Super Epicier). Certains se lancèrent même dans la prostitution (ce fût le cas du Dandy Chromé, à voile et à vapeur, ou de la Danseuse Etoile).

Les gouvernements essayèrent – et réussirent dans certains cas – de débaucher les meilleurs éléments pour leur faire intégrer leurs armées. Je pense que la planète a dû trembler quelques secondes après que notre pays eût dévoilé au monde entier l’existence de Monsieur Extraordinaire. Les uns pensant à la domination unique d’une nation grâce à cette arme de nouvelle génération, les autres à l’anéantissement du monde car même si Monsieur Extraordinaire pouvait tout faire, il ne serait jamais assez fort pour stopper des vagues et des vagues d’ogives nucléaires venant de toutes parts si les pays n’étaient pas d’accord avec l’hégémonisme de notre chère nation.
Seulement voilà, environ une heure après l’allocution de notre président, les américains répliquèrent en présentant Mister Amazing. Doté des mêmes pouvoirs et d’un costume quasiment identique (à part les couleurs) que notre héros national. Puis, dans les jours qui suivirent, tous les pays, même les plus petits, en firent de même. Et cela ne s’arrêta pas aux pays. Il y en eu également pour des régions qui voulaient leur indépendance (Super Euskaldunak, ou la Bigouden Masquée), ou même pour des villes ou des quartiers.
L’arrivée sur le marché des superhéros ne changea donc guère l’équilibre des forces en présence. Ils n’étaient qu’une arme parmi d’autres. Il fût question à un moment donné de créer un nouveau corps d’armée exclusivement réservée aux superhéros, mais l’idée mourût dans l’œuf, même si elle fit quelques réapparitions jusqu’au référendum.

Au bout de 25 ans de vie publique des superhéros (avec leurs naissances, leurs mariages, leurs décès et surtout leurs dégâts et leurs coûts), les gens en eurent assez. Sous la menace d’une grève de la police (devenu quasiment inutile, si ce n’était pour régler la circulation ou mettre des PV) et d’un coup d’état de l’armée (qui ne voulait pas être sous les ordres d’un superhéros en cas de conflit), le gouvernement, qui craignait depuis un certain temps une révolution à ce sujet, écouta la rue et proposa un référendum sur la question des super héros.
Fallait-il les rendre hors-la-loi ou bien conserver le statu quo ?

A plus de 84% (84,28% pour être exact), le peuple se prononça pour la mise hors-la-loi. En échange de l’abandon des charges qui pesaient sur eux (suite aux dégâts causés, ou aux plaintes des bandits arrêtés et molestés), la plupart de mes confrères et consœurs acceptèrent de se retirer, voire de se démasquer. Pour d’autres, il fallut leur verser une prime, ou une pension de retraite. Le seul réel problème qui se posa, ce fût pour Monsieur Extraordinaire.
Le gouvernement ne pouvant pas se passer de lui en matière de sécurité intérieur ou extérieur, il fût autorisé à conserver son identité secrète et à travailler en tant qu’agent spécial, le temps que tous les supervilains soient mis hors service (d’une manière ou d’une autre). Puis, devenu inutile, il fût lâché par les dirigeants avec pour seule récompense une poignée de main et une pension de retraite ridicule qui servait à peine à couvrir sa consommation de gros rouge (avec une préférence pour celui du Père La Casquette, un ex compagnon de combat).

Pour ma part, j’acceptais de me retirer (et de me démasquer) en échange d’un petit chèque et de l’annulation de la plainte pour viol (imaginaire) de l'ex super héroïne la Danseuse Etoile.

Depuis maintenant 30 ans, je vis tranquillement dans la maison achetée avec l’argent du gouvernement. J’ai continué à mettre mes dons surnaturels au service des gens, mais plus en cassant de la mauvaise graine. J’ai créé une société qui intervient en cas de fortes pluies ou de crue et pour assécher des marais et je vis plutôt bien.

Malheureusement, les radiations présentes dans mon corps depuis de si longues années sont en train d’avoir raison de moi. Je sais que bientôt il me faudra affronter pour la dernière fois de ma carrière un gugusse costumé, tout de noir vêtu et armé d’une faux. Et contre lui, les supers pouvoirs du Buvard, ne pourront rien…


(15/03/2003)

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