mardi 16 mai 2017

Hawks of the Seas (Les Boucaniers) de Will Eisner

En farfouillant dans ma bibliothèque, je me suis aperçu que je n'avais parlé de ce très bel ouvrage de chez Neofelis (un éditeur dont je recommande chaudement tout le catalogue), signé par un certain Will Eisner, rien que ça ! 

Le Faucon est un pirate un peu spécial : il a un grand cœur et se porte volontiers au secours de la veuve, de l'orphelin et du  plus faible. Mais son véritable combat, il le livre contre les négriers et autres esclavagistes de tout bord qui pullulent dans les Caraïbes - centre névralgique du commerce triangulaire. Son équipage, bien que constitué d'hommes de sac et de corde, n'en partage pas moins la vision humaniste de leur capitaine. Le Faucon - plus tard rejoint par son pupille Jeremy - et ses hommes écument donc les mers afin de mettre fin au terrible commerce d'esclaves, mais sans rechigner à s'occuper d'autres quêtes parallèles comme la recherche d'un trésor...

Cet ouvrage est intéressant à plus d'un titre. Déjà, il s'agit de la première œuvre du maître du 9ème art, Will Eisner. Ensuite, Neofelis nous propose celle-ci en exclusivité mondiale, car Hawks of the Seas n'était pour l'instant jamais paru en intégralité dans le monde - même aux USA ! - certaines planches ayant été considérées comme définitivement perdues*. Enfin, il permet de voir l'évolution et les progrès de Will Eisner (quand il commence Hawks, il a peine 19 ans !) tant sur le plan graphique que narratif et on peut donc considérer cette série comme le terreau de l'œuvre de l'artiste.

Les dessins sont un peu déroutants au début. On sent que l'auteur se cherche encore : le trait n'est pas net, les personnages un peu fades, figés et peu charismatiques, les décors assez sommaires et la mise en page très guindée - comme cela se faisait à l'époque. Étant donné que Hawks of the Seas paraissait sous forme de feuilleton, sur les premières planches nous avons droit (dans le bandeau du titre) à un court résumé des événements précédents, qui disparaîtra lorsque le Faucon aura pris son envol (haha) et surtout à partir du moment où Eisner prendra confiance et trouvera son style. Au fur et à mesure que l'histoire se déroule, nous pouvons voir le trait s'affirmer et se clarifier, les décors devenir plus présents et les personnages réellement avoir une "gueule".

Cette évolution ne ressentira pas que dans le dessin ou la narration. Elle également visible dans la mise en page, qui passe du traditionnel "gaufrier" du début - qui était la norme à l'époque - à quelque chose de moins étriqué. Plus l'histoire avance, plus l'auteur se permet de "casser le gaufrier" en y incorporant des cases plus grandes, permettant ainsi de dynamiser les scènes d'action ou de détailler des paysages et se rapprocher ainsi de l'esthétique de plans de cinéma.

Pour ce qui est du récit, même s'il très classique, il n'en est pas moins prenant et intéressant. En effet, le combat humaniste du Faucon pour sauver les esclaves est quelque chose d'assez innovant dans le récit de pirates - surtout en comics.
Cet idéal reste toujours en toile de fond, même quand le Faucon et son équipage parte à la chasse au trésor, ou sauve la belle dame en détresse. Ces deux ressorts - très clichés pour le coup - n'en sont pas moins agréables, car - entre nous - une histoire de pirates sans trésor n'est pas une vraie histoire de pirate. En plus, du fait du format feuilletonesque, chaque planche se termine par un cliffhanger, qui nous pousse à vouloir connaître la suite et en très bon conteur qu'il est, Will Eisner sait relancer l'intrigue, sans temps morts. Ce qui fait qu'au final, on a surtout l'impression de retrouver une histoire que nous aurions pu voir dans un vieux film américain avec Errol Flynn dans le rôle titre.
Il est aussi intéressant de constater que Will Eisner raconte les origines du Faucon et de son combat afin de donner de la matière et des aspérités à son personnage un petit peu trop lisse au début, une fois qu'il maîtrise son sujet. Comme s'il avait senti qu'il ne pouvait se contenter d'un héros sans défaut des films hollywoodiens. On sent que derrière le jeune auteur de bande dessinée inexpérimenté perçait déjà le futur théoricien du médium.

En conclusion, cet ouvrage est indispensable pour tout amateur de bande dessinée. Que ce soit pour le côté curiosité (la première œuvre de Will Eisner ça ne refuse pas), pour le côté patrimonial, ou tout simplement pour passer un bon moment en compagnie de ce pirate au grand cœur et de ses acolytes, tant le récit est mien mené. Du grand art !


Note : 16/20

Hawks of the Seas (Les Boucaniers) de Will Eisner
Neofelis / Culture Comics / 2016
ISBN : 979-10-90314-09-2
152 p. / 20€

Malheureusement, à l'heure où vous lirez ces lignes, l'ouvrage sera épuisé depuis un petit moment. Mais si d'aventures vous le trouvez en occasion, n'hésitez surtout pas !
Màj du 16/05/2017 à 17h25 : On me fait signe dans l'oreillette qu'il reste des exemplaires chez Aaapoum bapoum - les excellentes librairies des Ve et VIe arrondissements de Paris. Foncez-y !

* Merci à Monsieur Louis Cance, Jean Depelley et bien sûr à Neofelis pour ce travail de fourmi !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Web Statistics