mercredi 7 juin 2017

Chroniques cruelles d'hier et de demain de Boris Darnaudet

Après l'enthousiasmant "Quaillou" de Sylvain Lamur qui - scoop ! - connaîtra une suite en 2018, je me suis plongé dans ces "Chroniques cruelles d'hier et de demain" de Boris Darnaudet - un auteur que je ne connaissais pas non plus et qui nous a malheureusement quitté en 2015. Cet ouvrage reprend l'intégralité de la prose publiée par l'auteur, dont le roman "Projet Obis", précédemment publié chez Rivière Blanche et épuisé depuis quelques temps. 
J'ai franchement passé un très bon moment à dévorer ce recueil (qui se compose de trois romans, d'une novella et de nouvelles réunis par le père de Boris, François Darnaudet) abordant différents genres des littératures de l'imaginaire tout en étant très homogène en terme de qualité. J'ai apprécié de goûter à la fois au fantastique, à la science-fiction voire à l'heroic-fantasy en un seul volume !

Dans "Chroniques de Don Emilio - La colère des Dieux Aztèques", nous suivons les aventures de Don Emilio, un hidalgo désargenté, qui suite à un étrange cambriolage, se voit contraint de s'embarquer pour le Nouveau Monde, dans le sillage des conquistadors. Là, dans cette Amérique à feu et à sang, il va être le témoin d'événements singuliers. Il rencontrera des êtres fantastiques et sera amené lui-même à les combattre car il a un don inné pour la magie...

Ces chroniques de Don Emilio sont une excellent entrée en matière. L'écriture y est tonique, sans fioriture - mais pas simpliste - et très agréable. Le découpage en très courts chapitres - il s'agit à la base de nouvelles regroupées pour en faire un roman - permet là aussi d'aller à l'essentiel. 
Bien que nous ayons affaire à un petit noble espagnol confronté à la fin de l'Amérique précolombienne, on sent clairement qu'il y a derrière tout cela un hommage à Rob E. Howard et son Cimmérien. Rien que le premier chapitre rappelle grandement la nouvelle "La tour de l’éléphant", puis les différentes aventures que vit Emilio sont dans la même veine que celles du plus célèbre des barbares. Mais - et cela est très important - nous avons ici un très bon roman d'aventures mâtiné d'heroic-fantasy (à moins qu'il existe un terme précis pour ce genre d'ambiance "conquistador fantasy") et on se laisse prendre au jeu sans aucun problème. 
Le récit est bien construit, l'atmosphère parfaitement rendue et les créatures imaginées par l'auteur sont réellement charismatiques voire iconique (en premier lieu les terribles Tzitzimime, qui bien que n'étant objectivement qu'une énième déclinaison du zombie n'en sont pas moins originaux). De plus, Boris Darnaudet sait si habilement jouer avec les faits et personnages historiques que cela donne une œuvre  tout à fait originale.

Projet Obis est un roman post-apocalyptique. Sur une Terre dévastée par un ultime conflit, un homme se réveille et découvre qu'il ne sait rien - même pas son nom. Adoptant celui de Caution (comme écrit au-dessus de son sarcophage), il part explorer ce monde dont il ignore tout. Il découvre néanmoins assez vite qu'il est doté de capacités de combat qui vont bien au-delà de la moyenne. Il apprend également que ce qui reste de l'humanité est dirigée par une élite vicieuse : l'Ultime Alliance, qu'il va être amené à combattre...

Bien qu'abordant un genre assez classique de la science-fiction, ce court roman est malgré tout un "page turner" comme disent nos amis d'outre-atlantique. En découvrant le monde en même temps que le protagoniste de l'histoire, on veut savoir où tout cela va le (nous) mener. Les influences de Philip K. Dick sont ici assez évidentes à la fois dans l'atmosphère ("La vérité avant-dernière") et dans l'intrigue qui se complexifie au fur et à mesure que le dénouement approche. Quoiqu'il en soit, Boris Darnaudet s'en sort également haut la main et nous livre une histoire très plaisante aux réminiscences de films de série B des années 80 (et c'est loin d'être un défaut pour moi !), qui en utilisant des références familières du genre post-apo réussit néanmoins à être innovante. Les scènes de combats  - très bien écrite - sont le petit plus.

Dans "Le Cycle du Cube", Boris Darnaudet nous entraîne dans différentes époques (la préhistoire, l'époque sumérienne, les Croisades) à la suite d'un mystérieux cube renfermant une force obscure qui corrompt tous ceux qui s'en approche...

Ce cycle, qui se compose de nouvelles est malheureusement resté inachevé, ce qui est très dommage car la trame et l'idée de départ étaient très bonnes et prometteuses. Quoiqu'il en soit, en ce qui concerne ce qui a été effectivement écrit, est très plaisant. Les personnages sont intéressants, complexes et variés. Le fait que l'histoire se déroule sur plusieurs époques couplé au format court des nouvelles permet là aussi d'avoir un style tonique, varié et incisif. Tout va très vite et l'action est très présente. De plus, l'atmosphère assez noire de l'ensemble est très bien rendue, quelque soit la période.

Nindô est le dernier roman sur lequel travaillait l'auteur. Il s'agit d'un roman de fantasy médiévale se déroulant au Japon.
Ushida, un laissé pour compte sans aucun talent se retrouve en possession d'une épée douée d'une vie propre et qui surtout, permet à son possesseur de détenir des talents incroyables de combattant. Il va se retrouver malgré lui au milieu d'une lutte en plusieurs clans rivaux, clans ayant des facultés magiques...

Là encore, cette œuvre inachevée commençait incroyablement bien. L'intrigue de départ, les personnages, l'atmosphère, tout est d'excellente facture. On sent vraiment que Boris avait une attirance particulière pour les arts martiaux, les samouraï et toute la culture nippone. Les phrases sont admirablement bien construites et permette réellement de retranscrire cette atmosphère d'estampe japonaise. On aurait aimé pouvoir suivre Ushida et son épée Murusame jusqu'au bout de leur périple...

Pour ce qui est des nouvelles, j'en ai trouvé quelques unes un peu en dessous du reste de l'ouvrage, mais certaines sont vraiment marquantes et interpellantes, comme par exemple "Le sas" et surtout "La nuit du Bayou".
"Le Sas" raconte l'histoire d'un employé en charge du sas qui permet l'accès à une cabine un peu spéciale puisqu'elle permet de régler les problèmes de surpopulation...
Ce récit très court est vraiment percutant. Le monde futur décrit par l'auteur fait froid dans le dos et la déshumanisation est réellement bien retranscrite.
Dans "La nuit du Bayou", on suit les aventures de trois compagnons hauts en couleurs qui vont tout mettre en œuvre pour retrouver une jeune fille disparue. La traque du coupable les mènera jusque dans le bayou de la Nouvelle-Orléans, où ils vont rencontrer des êtres très singuliers...
Ce texte un peu plus récréatif que les autres (à part sans doute "Le Père Léon"), dans la mesure où l'auteur se permet de convoquer des pastiches des héros des "Mystères de l'Ouest" et de mettre sur pied une équipe de stéréotypes du far west totalement improbable. Comme il est judicieusement dans le texte introductif de cette nouvelle, on sent malgré tout l'influence de Mark Sumner ("La Tour du Diable" et "Le train du Diable" que je vous recommande), mais il y a pire comme référence ! Quoiqu'il en soit, cette histoire n'en est pas moins prenante et opère comme une bouffée d'air frais dans ce recueil parfois très sombre.

Il en ressort de cette lecture que Boris Darnaudet était un très bon conteur qui savait créer des atmosphère et des univers qui, même s'ils n'étaient pas inédits, n'en étaient pas moins originaux, car il savait y mettre sa patte. Les chroniques de Don Emilio et Nindô font parties des meilleures récits d'aventures fantastiques que j'ai lu jusqu'ici - grâce notamment au soin apporté par l'auteur pour créer un univers historiquement cohérent mais qui bascule petit à petit dans le fantastique débridé. J'aime beaucoup la manière dont il procède pour faire pénétrer l'extraordinaire dans l'ordinaire et le faire paraître parfaitement logique. Il faut également souligner les scènes d'action qui sont très bien retranscrites et qui donnent un vrai souffle à tous ces récits.

J'ai beaucoup apprécié également les explications proposées avant chaque récit, qui permettent de resituer ceux-ci dans leur contexte, et dans la vie de l'auteur. Cela donne à voir le processus de création et la construction d'un auteur et de son œuvre.

Décidément, Rivière Blanche est vraiment une maison d'édition à suivre, tant elle propose des pépites. Même s'il est vrai que le décès de Boris Darnaudet donne à  ces chroniques une saveur douce-amère, puisque l'on sait que cet auteur de talent, qui savait raconter les histoires et mettre en place des atmosphères, ne publiera plus jamais. Savoir que nous tenons entre les mains l'intégralité de son œuvre - en plus de la qualité intrinsèque de l'ouvrage - rend ce livre encore plus touchant, comme un ultime - et magnifique - hommage à Boris Darnaudet.

Note : 17/20

Chroniques cruelles d'hier et de demain de Boris Darnaudet
Rivière Blanche / 2016
ISBN : 978-1-61227-520-8
312 p. / 18€

Pour acheter ce livre, allez faire un tour sur le site de Rivière Blanche

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